Je veux
Variation sur un même thème (la santé mentale et le suicide)
Personnages: Astrid, Nathalie, François, Sophie, Maxime, Diego, Maya, L'Infirmière
Astrid est positionnée sur une chaise dans le public. Côté cour se trouve l'espace appelé l'hôpital, espace dans lequel joueront Maya et L'infirmière. Dans cet espace se trouve un lit ainsi que beaucoup trop de ballons et de fleurs, 21 peluches et une pile de 37 livres. Au milieu de l'espace de jeu est disposé un fauteuil ainsi qu'une petite table de chevet avec une lampe dessus. Dans cet espace se trouvera Nathalie, François et Sophie. Finalement, côté du côté cour, nous avons une rambarde en métal qui rappelle celle d'un pont. C'est dans cet espace que joueront Maxime et Diego. La scène commence dans un noir des plus total.
Astrid. Je veux
Maxime. Pas
Maya. Peut-être
Maxime. Je ne sais plus
Astrid. Je veux juste la paix!
Maya. Dormir
Maxime. Sauter
Astrid. Partir
Maxime. Rester
Maya. Mourir
Les lumières de l’hôpital s’ouvrent. Seul cet espace est éclairé. Maya est assise sur son lit, face public. Un de ses poignets est rattaché par une corde vers le plafond et l'autre vers le sol.
Maya. Je suis prête… Enfin, je crois.
Astrid se lève de son siège et se retourne vers la personne assise à côté d’elle. Une lumière s'ouvre sur elle. Elle est rattachée par son poignet droit à Nathalie et par celui de gauche à François.
Astrid. Je suis prête! Je te dis que je suis prête! Je suis prête à voler de mes propres ailes! T’es qui pour me dire comment vivre ma vie?! Je vais partir un moment donné que tu le veuilles ou pas. (Astrid se met à marcher dans le public.) J'étais tannée des règles, tannée de tout le temps devoir faire ce qu'ils veulent, j'ai pas le droit de vivre?!
Nathalie (voix): Astrid, je t'en prie pars pas mon bébé!
Maya. *rire* Mon bébé… C’est comme ça que ma mère m’appelle. En fait, je pense qu’elle ne veut pas me voir grandir ou peut-être que grandir a une autre signification dans mon cas…
Une lumière s'ouvre sur Maxime éclairant son espace de jeu. Celle-ci porte des lunettes de soleil, comme pour cacher quelque chose. Son poignet gauche est rataché à celui de Diego.
Maxime. Grandir… J’étais supposée avoir un brillant avenir devant moi, (Elle enlève ses lunettes et dévoile alors un oeil au bord noir) être la grande fille à ses parents qui les ferait vivre… Je suis sortie de ce milieu-là pour ouvrir mes horizons. Puis, maintenant, eh bien, je suis la belle de service. Je suis partie avec lui puis là, à quoi je sers? À rien. Je suis la belle femme au foyer qui sort seulement quand le frigo est vide.
Astrid continue de se déplacer visant une personne dans la salle.
Astrid. Ben oui, c’est ça! Regarde même pas c’est qui qui te parle te parle! C’est peut-être une ado qui a vraiment besoin d'argent! Mais non, môssieur se promène avec une Rolex, mais est trop cheap pour me donner deux piastres! Crime que je suis naïve. Voir que ce gars-là va penser utile de me donner de l'argent. Je suis une personne parmie tant d'autre.
Maya. J’ai pas besoin de tout ça, j’ai pas besoin de 500 fleurs et ballons qui trainent dans ma chambre! Ni des 21 peluches qui ramassent la poussière et encore moins des 37 livres que je ne vais jamais lire! Je pourrai pas. C'est comme si pour eux, leur cadeau permettrait de me rattacher à la vie. Comme s'ils voulaient s'acheter une bonne conscience et pouvoir dire à mes funéraille: "J'ai toujours été là pour elle.”
L’infirmière entre dans la chambre avec une pile de peluches.
L'infirmière. Regardes ce que j’ai pour toi.
Maya. J’en veux pas, j’en ai pas besoin!
L'infirmière échappe les peluches.
L'infirmière. Mais Maya…
Maya. Non, si vous voulez vraiment me montrer que vous m’aimez, laissez-moi sortir de l’hôpital des fois au lieu de m’ensevelir de cadeaux.
Maxime. J’ai pas besoin d’amour, right? J’ai juste besoin de quelqu'un avec qui je vais me sentir en sécurité, non? Puis, serieusement, si je suis pas faite pour ça, eh bien je... Vous savez, j'ai toujours vécu une vie de princesse avec lui, je me sentais en sécurité au début. Puis maintentant, je sais pas ce qui me fait le plus peur: couper les liens avec lui ou rester.
On voit Nathalie assise en boule sur un sofa. Elle semble perplexe. Ses mains tremblent légèrement. François arrive tranquillement derrière elle.
François. Nat?
Nathalie. Je vais bien.
François. Nat, tu peux mentir aux gens à ton bureau, mais pas à...
Nathalie. Pas à toi? Qu'est-ce qui te dit que je mens?
François. Je sais que t'as un coeur.
Astrid se rapproche tranquillement de l'espace de jeu. Tout en jouant avec le public.
Astrid. Je veux pas être comme tout le monde! Je ne veux pas me conformer à cette société dans laquelle on vit! Crime, les premiers jours de ma fugue, j'avais déjà reçu plein de messages comme: “Hey, t’es où?” Ou encore: “On s’ennuie full de toi!” Mais comme de personnes que je connaissais à peine. C'est pour ça que j'ai fini par jeter mon cell aux vidanges. Fuck les réseaux sociaux, pis fuck les faux amis! C'est pas une vie comme ça que je veux mener. Je veux vivre une vie normale sans tout le fla-fla derrière. Je suis pas comme mes parents.
Nathalie. Tu penses qu'elle va revenir un jour?
François. Je sais pas, c'est une grande fille...
Nathalie. Une grande fille, tu me niaises? Elle a 16 ans François! C'est encore un bébé. C'est encore mon bébé!
On voit déjà Diego approcher de Maxime en enroulant la corde autour de sa main. L'infirmière replace l'oreiller de Maya.
L’infirmière. Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi?
Maya. Ce que je voudrais, tu ne peux pas me le donner.
L’infirmière. Ah, Maya, il ne faut pas voir ça…
Maya. Voir quoi? Voir ma fin comme ça? Voir que je pourrai jamais faire un saut en parachute ou juste conduire un jour? Tu peux pas comprendre.
L’infirmière. Je comprends très bien Maya, mais…
Maya. Non, tu comprends pas. Moi je me renderai jamais à l’âge où tu es. T’as peut-être des enfants, un mari ou une maison. Moi, eh bien je vais jamais savoir c'est quoi que de fêter sa majorité. J’ai plus le contrôle de mon corps. Il y a un mois c’était mes pieds, maintenant, c'est tout ce qui se trouve en dessous du bassin que je ne sens plus. Puis bientôt, ben c'est mon coeur qui va finir par flancher.
Maya retient la corde relier au sol avec sa main. Diego pose sa main sur l'épaule de Maxime. Maxime sursaute.
Maxime. Qu'est-ce que tu fais ici?
Diego. Je te cherchais.
Maxime. Puis tu t'es dit que j'étais clairement ici.
Diego. Non je...
Maxime. Tu..?
Diego. C’est facile de localiser les personnes de nos jours.
Maxime. Tu m'as..? J’ai juste besoin d’être seule un moment.
Diego. Pourquoi?
Maxime. Pour… Je sais pas, me ressourcer...
Diego. En sautant en bas du pont?
Maxime. Je sauterai pas voyons... Je... Diego éco... (Écoute)
Diego. Écoutes, depuis que tu es partie, tu sais, j'ai beaucoup réfléchi et...
Maxime. Ouais, t'as pensé à tout ça, puis tu t'en veux et...
Diego.Tu n'as pas l'air de me croire...
Maxime. C'est la même chanson à toutes les fois.
Diego. Donc tu ne veux pas que...
Maxime. Lâches-moi, okay? Ça... Ça marche plus entre nous deux…
Maxime commence à détacher la corde autour de son poignet.
Diego. Qu’est-ce que tu me racontes là?
Maxime. C’est... C'est fini Diego.
Diego. C’est quoi?
Diego ressert le nœud de la corde.
Maxime. C’est f…
Diego saisit Maxime par le coup et la penche au-dessus du vide.
Diego. Quoi? Allez, dis-le, je suis pas certain d'avoir bien compris.
Nathalie se retourne face à François.
Nathalie. Où est-ce qu'on a foiré, tu peux bien me le dire?! On était une famille parfaite!
François. Nat... Il n'y a pas de famille parfaite!
Nathalie. Ouais, t'as raison. Notre famille, c'était pas toi, les enfants et moi. Notre famille parfaite c'était Astrid, Sophie et moi.
François. Mais...
Nathalie. Elle t'aimait tellement puis toi tu n'as...
François. Je te trouves dure Nat...
Nathalie. Dure?! C'est qui qui a poussé sa fille à partir, hein?!
François. Woh! Tu ne sais même pas pourquoi elle est partie!
Astrid est couchée sur deux chaises en avant scène qui forment une sorte de banc.
Astrid. Je me rapelle des personnes qui me répétaient sans cesse que j'avais une famille parfaite, que comparés à leur parents, les miens étaient des dieux, mais ça là, c'est de la bullshit! Moi j'enviais mes amis qui avaient une vie mouvementée ou qui avaient des parents pas nécessairement parfaits. J'espérais vivre un peu d'action ou tout simplement avoir une vie moins banale. Mais non, je devais rester la petite fille parfaite à sa môman! Je devais rester... Rester... Je devais être la belle poupée de porcelaine et sourire sur les photos. Ouin, une belle gang d'hypocrites. Le pire, c'est que j'ai même plus peur qu'on me juge pour être sortie des sentiers battus. Parce que ce lien que j'ai brisé avec cette vie là, eh bien je suis sûre que la majorité d'entre vous voudrait le couper. Vous n'êtes juste pas capable de le faire. Vous avez peut-être peur ou vous préférez peut-être le confort de votre petit lit à celui de la rue...
Diego a le visage à deux pouces de celui de Maxime.
Diego. T’as-tu toujours le goût de me laisser tomber, hein?
Maxime. Diego lâche-moi, s'te plaît.
Diego lâche Maxime. Celle-ci se frotte le cou et regarde le vide.
Diego. Tu voulais sauter? Eh bien, vas-y! Saute! Qu'est-ce que tu attends?! Hein? QU'EST-CE QUE TU ATTENDS? TU VAS ME LE DIRE?
Maxime. JE SAIS PAS! Je... Je sais pas... J'ai...
Diego. Own, t'as peur? Own so sweet! T'as toujours été lâche.
Maxime. Moi lâche? Ouais, ok, peut-être, mais on parlera pas de toi.
Diego se rapproche lentement de Maxime.
Diego. Moi, lâche? C'est qui qui recule en ce moment, hein?(À deux pouce du visage de Maxime) Bou!
Maxime tourne la tête. Diego saisit Maxime par le menton.
Diego. Tu me regardes quand je te parle!
Maxime. Lâche-moi!
Diego. Tu me regardes! (Il tourne la tête de Maxime de force) Tu sais quoi? J'ai jamais vu un visage aussi pathétique. *rire* Regarde-toi! (Il tourne sa tête face vers l'eau.) Ouais, je comprends pourquoi t'as le goût de sauter.
Diego pousse Maxime juste assez pour faire peur à la jeune femme.
Maxime (en pleurs) C'est ça, crisse ton camp! Va chercher une autre fille à écoeurer!
Maxime lâche la corde qui la relie à Diego, mais celle-ci s'accroche à son soulier sans qu'elle s'en rende compte. Nathalie est debout devant François. Ses mains se crispent.
Nathalie. Toi! TU!
Sophie (voix). Maman? Papa?
Nathalie. Tu te fous de nous c'est ça?!
François. Peux-tu arrêter de crier, elle t'entend!
Nathalie. Oh, j'ai pas de leçon à prendre de toi! J'ai toujours mis mes enfants en premier, mais à quoi ça sert quand ils te traitent comme ils le font hein?
François. C'est pas parce qu'Astrid est partie que Sophie n'est pas reconnaissante. Elle t'aime.
Nathalie. Mais Tu... François... Oui, je sais...
Sophie entre tranquillement dans l'espace de jeu pour aller rejoindre ses parents qui sont dans les bras l'un de l'autre.
Astrid. C’est silencieux. C'est calme. C’est une étrange sensation. Je sais pas comment vous expliquer le sentiment que je vis en ce moment. Il n’y a plus personne pour me bousculer sans s’excuser parce qu’ils sont trop pressés de se rendre au travail. J’ai faim. J’aurais dû m’apporter des provisions ou au moins plus d'argent. *ricane* Ça me rappelle la fois où j’avais pleuré à l’école parce que je trouvais pas ma collation. Un maudit bébé gâté. Je suis peut-être juste pas capable d’apprécier ce que j'ai. Mais qu'est-ce que j'ai à apprécier, hein? Je m'ennuie de mes parents. Je veux les revoir, savoir qu'ils vont bien, leur dire: Ça va, je suis là! Non, Astrid, resaisis-toi! T'as perdu la tête ou quoi?! T'as tout ce que tu as toujours voulu et là tu vas laisser un coup de nostalgie tout ruiner? Je dois rester forte! Avec la force, on peut accomplir de grandes choses, non? Même de briser ce que tes parents ont construit pendant 16 ans... NON! Ok, je peux tout faire, je suis bientôt majeure anyway, donc j'ai plus besoin de leurs règles à la noix dans mes pattes, ok?!
Astrid détache les cordes qui la relient à ses parents.
Maxime. Diego, je suis désolée, j'aurais pas dû te crier après. Je sais que t'as un bon fond. Je sais qu'au plus profond de ton être tu es tellement charitable. Je sais que tu peux être romantique, que tu peux me faire rire, me faire sourire. Je le sais parce que tu m'as déjà fait vivre ça. Tu m'as déjà permis de me sentir belle et désirable. Le passé. Je me raccroche au passé, comme si c'était plus facile de penser à avant et d'espérer que ça redevienne comme c'était. Comme si le passé était tellement plus beau que la réalité. La maudite réalité, hein. Parfois, il faut se rendre à l'évidence... J'étais pas faite pour vivre. J'étais faite pour être la belle de service.
Maya. Je me souviens quand je marchais sur l’herbe, de cette sensation de liberté. Maintenant, tout ce que je peux faire c'est voir, de ma fenêtre, les personnes marcher et courir puis de m’imaginer le bonheur qu’ils peuvent ressentir.
Marie-Pier. Maya, il n’y a personne qui t’empêche de sortir dehors, de sentir l’air frais, d’aller au cinéma ou encore au restaurant.
Maya. Non je ne peux pas, je…
Marie-Pier. Les barrières sont dans ta tête. Tu peux vivre une vie tellement remplie en quelques mois que tu auras l’impression d’avoir vécu cent ans!
Maya. Peut-être... t’aurais dû me le dire plus tôt. Là, c’est trop tard. Je suis prête, enfin, je crois.
Maya lâche tranquillement la corde qui la relie au sol. La lumière se ferme tranquillement pendant que les dernières répliquent se disent.
Maya. Mourir
Maxime. Rester
Astride. Partir
Maxime. Sauter
Maya. Dormir
Astrid. Je veux juste la paix!
Maxime. Je ne sais plus
Maya. Peut-être
Maxime. Pas
Tous. Je veux
Noir final.